Dans un livre stimulant, « Hollywar : Hollywood, arme de propagande massive », Pascal Conessa montre comment l’industrie cinématographique américaine, en jouant de la confusion entre fiction et réalité, cinéma et géopolitique, s’est constituée en arme de propagande massive, au service des élites et des intérêts américains. Malheureusement, cette étude de l’impérialisme soft et redoutablement efficace, exercé par le biais des vecteurs de la culture de masse, traite pour l’essentiel d’une stratégie développée au XXe siècle qui, certes, se poursuit mais en modifiant radicalement ses formes. En ce XXIe siècle déjà largement entamé, le tome 2 de cette étude reste en effet à écrire qui prendra en compte les nouvelles idées-lubies starisées et oscarisées qui, se substituent aux vieilles lunes pour beaucoup décrochées, balancées ou en cours de «cancellisation».
A nouveaux temps nouvelles mœurs. Tout un chacun aura noté qu’Hollywood, toujours en pointe de l'esprit du temps qu’il continue de modeler autant que de suivre en fonction de ses intérêts sonnants et trébuchants, met en place de nouvelles procédures : des prescriptions positives comme celles concernant l’obligation de représentation diversitaire pour la nomination aux Oscars, ou négatives de mises en garde ou d'interdits. Procédures qui signalent, au plus haut des élites mondialisantes, une « conversion » des esprits au sens religieux du terme, le pendant au plan idéologico moral du «pivot asiatique» géopolitique d’Obama.
Voici venu le temps d’un nouveau "code Hays". Un code totalement réinitialisé programmé par les enfants de ceux-là même qui se gaussaient encore il y a peu, au nom de l’esprit de liberté, du vieux dispositif de censure édicté au début du siècle passé. Le "code Hays", rappelons-le, a consisté en un ensemble de règles puritaines adoptées par l’industrie cinématographique américaine dans les années trente suite à certains scandales sexuelles... Ce code d’autocensure dit d’«autorégulation» reflétait la «political correctness» d’alors. D’aspect tartuffesque, il s’est effacé au fil des décennies, notamment lors des sixties et seventies, pour laisser place de fait à une assez large liberté d’expression, du moins en mode libertaire baba marijuanesque. Jusqu’à ce que, la morale ayant évolué, la bienpensance soit de retour, armée de son immuable bonne conscience et de ses admirables intentions prophylactiques, comme au bon vieux temps du sénateur Hays. La morale a seulement sauté quelques générations, changé son fusil d'épaule, changé de camp. Un néo puritanisme woke s’impose, où c’est à nouveau la "bonne morale" qui compte - et non plus du tout la liberté d’expression "âprement conquise" comme tant de soixant-huitards confits en progressisme ringard se l’imaginent encore. Fin d’une illusion. Dans toutes les sphères de la communication, de l’information et de la culture, savante comme de masse, la bienpensance postmoderne édicte donc les nouvelles règles, les lignes à ne pas franchir ou à ne transgresser qu'à reculons, en se pinçant le nez et avec mille précautions.
C'est notamment ce à quoi l'on assiste avec les dernières décisions prises par la très capitaliste compagnie Disney. Aujourd'hui, en cette heureuse époque où le mot culture s’accompagne de plus en plus du mot cancel, l’illustre Studio façonneur d'émerveillements enfantins a pris la décision de supprimer purement et simplement tous les films jugés problématiques des comptes réservés aux enfants. Désormais, pour voir Aladdin, Dumbo, La Belle et le Clochard, Les Aristochats ou encore Peter Pan, nos bambins devront le faire avec l'autorisation de leurs parents.
Voici le texte d'avertissement qui précède le visionnage des films visés accessibles si vous possédez un compte adulte: ""Ce programme comprend des représentations datées et/ou un traitement négatif des personnes ou des cultures. Ces stéréotypes étaient déplacés à l’époque et le sont encore aujourd’hui. Plutôt que de supprimer ce contenu, nous tenons à reconnaitre son influence néfaste afin de ne pas répéter les mêmes erreurs, d’engager le dialogue et de bâtir un avenir plus inclusif, tous ensemble. Disney s’engage à créer des histoires sur des thèmes inspirants et ambitieux qui reflètent la formidable diversité de la richesse culturelle et humaine à travers le monde."
Comment ne pas être frappé par le regard torve jeté sur les films anciens par les chercheurs de petites bêtes, renifleurs d'imperceptibles relents dans les recoins minuscules, rédacteurs des nouveaux codes de l'hygiénisme bienpensant. Que penser de ce "tous ensemble" pseudo-démocratique que lancent sans la moindre vergogne les nouveaux guides richissimes des âmes et des cœurs «conscientisés » par les nouvelles images édifiantes et les anciennes expurgées ?
"Tous ensemble ! Tous ensemble !" Dans le désert des esprits, de nouveaux goulags, de nouveaux Metropolis se dessinent peints dans le rose des meilleures intentions. Sur le portail-écran du Disneyland mondial orwellisé, sous lequel on nous invite à tous passer bien gentiment et bien groupés, clignote à nouveau, mais cette fois en couleurs fluos, le slogan "Zensur macht frei" (La censure rend libre).